#Nucléaire : Quand EDF et Areva nous font prendre le bus...

Rédigé par Jeey - 13 février 2015 - Aucun commentaire

Centrale nucléaire du Blayais : des retards et un surcoût de 207% (pour le moment).
Chantier de l'EPR de Flammanville : des retards et un surcoût de 257% (pour le moment).

Quelle incompétence que de voir de tels dérapages dans les coûts, n'est ce pas ? Et si ce n'était pas de l'incompétence, mais au contraire une stratégie marketing bien huilée ? Présentation de la théorie de l'engagement, autrement appelée "le piège abscons"...

  J'ai découvert la théorisation du piège abscons dans un très intéressant ouvrage de vulgarisation psychologique à l'intention des pécores nommé "Petit traité de manipulation à l'intention des honnêtes gens", de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois aux Presses Universitaires de Grenoble. Cet essai présente de nombreuses pratiques par l'exemple et agrémente chacune d'entre elles d'études universitaires expliquant les tenants et les aboutissants de ces méthodes de manipulation. Nous allons nous intéresser à l'une d'entre elles, basée sur la théorie de l'engagement et appellée "le piège abscons" ou "escalade de l'engagement". Cette théorie veut que nous ayons tendance à maintenir une décision même si celle ci est injustifiée. Ainsi, l'exemple donné est un acte dont nous avons fait l'expérience. Vous devez vous rendre à un endroit, situé à environ 20 minutes à pied de votre lieu d'habitation. Il fait froid, vos chaussures ne sont pas les plus confortables, bref, vous vous dites que vous allez prendre le bus. Hors, sur cette ligne, il ne passe qu'un bus par heure et vous n'avez aucune idée de quand est passé le dernier. Peu importe vous allez prendre le prochain. Le temps passe, 10 minutes puis 20 ou 30 minutes. Malgré la tentation, vous restez là à attendre votre bus. Vu le temps déjà perdu, autant attendre un peu plus encore et prendre ce satané bus. Et cela peut durer longtemps, longtemps. Surtout en cas de grève surprise (expérience vécue). Ce type de décision est une escalade de l'engagement : plus vous perdez de temps à attendre, plus vous allez être tenté d'attendre encore plus.

  Imaginons maintenant qu'en plus de perdre du temps, nous perdions de l'argent, de plus en plus. Et bien, ne trouvez-vous pas que notre réaction face aux chantiers nucléaires ressemble furieusement à un piège abscons, une escalade de l'engagement, au maintien d'une décision injustifiée ? Alors, peut-être qu'effectivement, les dirigeants d'EDF et d'Areva, comme nos gouvernements, sont tombés dans ce type de mécanisme à leur insu. Ça doit arriver. À vrai dire, c'est même déjà arrivé et cela a été étudié de manière très précise plusieurs fois, notamment dans le cadre d'un article rédigé par Jerry Ross, de l'Illinois State University et Barry M. Staw de l'University of California au sujet d'un... tiens, d'une chantier nucléaire. La centrale nucléaire de Shoreham, construite non loin de New-York, devait démarrer en 1973. En 1989, après plus de 5 miliards de dollar de dépassement de budget et 16 ans de retard, un accord entre l'État de New-York et LILCO, le constructeur de la centrale, a conclu à l'arrêt de la centrale. Staw et Ross ont étudié les mécanismes qui ont mené à un tel fiasco technico-financier et quelles clés en ressortent. Par exemple, un des hypothèses avancée est que chacune des décisions qui ont été prises l'ont été en sa basant sur des calculs économiques raisonnables en comparant les investissements et les gains à venir. Cependant, les dépenses passées ont alors minoré voir effacé car elles étaient considérées comme irrécupérables. Par ailleurs, les coûts de construction ont énormément augmentés suite aux à l'évolution des normes de sécurité après les accidents de Three Miles Island et de Tchernobyl. Ces coûts n'avaient bien entendu pas été pris en compte à l'origine du projet mais paraissaient incontournables ensuite. Parmi d'autres éléments, l'importance pour LILCO de ce chantier qui devait initier une nouvelle gamme de centrale nucléaire qui servira de porte-étendard à la firme pour accéder à de nouveaux contrats. Toutes ses ressources étaient concentrées sur cette centrale avec en ligne de mire l'avenir de cette entreprise.

"you should buy twice as much"

  Un chantier nucléaire, tout comme à Blayais ou à Flammanville. Des retards qui s'accumulent, 2 fois plus long que prévu à Blayais, au moins 6 ans de plus à Flammanville. Une facture qui grimpe chaque jour, des factures multipliées par 2 ou 3 à Blayais comme à Flammanville. Des normes de sécurité qui évoluent avec des catastrophes, Fukushima est passé par là. Des projets rendus obligatoires, pour le prolongement de vie de toute la filière nucléaire en France à Blayais ou pour la production d'un nouveau produit ultraperformant pour atteindre de nouveaux marchés mondiaux des centrales de 4ème génération comme l'EPR de Flammanville. Mêmes causes, mêmes effets. Quel dommage que les dirigeants d'EDF et d'Areva ou nos gouvernants n'aient pas étudié cela dans leurs hautes écoles. Vraiment ? Peut-on croire que dans les meilleurs écoles françaises aucun cours ne soit donné sur les techniques de marketing ? Ou sur la psychologie ? Ou que des grands dirigeants ne connaissent pas les célèbres histoires dans leur propre domaine ? Ce serait être véritablement méprisant envers eux. Posons-nous alors la question autrement. Est-ce que l'exemple de Shoreham ne pourrait être leur manière d'imposer à l'État français de continuer à investir dans la filière nucléaire ? Aujourd'hui plus que jamais se pose la question de la transition énergétique, de l'évolution de nos moyens de productions notamment. Or, notre parc nucléaire est vieillissant et la question se pose de le prolonger ou de l'arrêter. Les alternoiements successifs de nos gouvernement sur le sujet montrent bien la complexité de la question. Mais en annonçant des projets à des coûts et délais raisonnables puis en "forçant" la main grâce à une forme de piège abscons, EDF et Areva ne cherchent-ils pas à nous contraindre à faire vivre leur filière uniquement ? Les décisions de lancement des chantiers auraient-elles été prises en connaissances des coûts réels ? Il y a fort à parier que non, n'est-ce pas ? Et quand on dit qu'il est de toute manière nécessaire de continuer à produire de l'électricité (à tout prix), imaginons si les dizaines de milliard d'€uro avaient été investis dans la recherche et le développement d'alternatives plus économiques et écologiques ?

Des dizaines de milliard d'€uro aujourd'hui dépensés.

Qui osera arrêter d'attendre le bus et partir à pied ?

Le tôlard

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