"Snow Therapy" : et si l'Homme n'était qu'un homme ? [SPOILER ALERT]
[ATTENTION ! Je livre ici mon avis, mon ressenti, mes questions, mes remarques sur un film que je viens de voir. Si vous ne l'avez pas vu, ne lisez pas ce qui suit pour garder un peu de suspens !]
SYNOPSIS :
Une famille suédoise passe ensemble quelques précieux jours de vacances dans une station de sports d’hiver des Alpes françaises. Le soleil brille et les pistes sont magnifiques mais lors d’un déjeuner dans un restaurant de montagne, une avalanche vient tout bouleverser. Les clients du restaurant sont pris de panique, Ebba, la mère, appelle son mari Tomas à l’aide tout en essayant de protéger leurs enfants, alors que Tomas, lui, a pris la fuite ne pensant qu’à sauver sa peau… Mais le désastre annoncé ne se produit pas, l’avalanche s’est arrêtée juste avant le restaurant, et la réalité reprend son cours au milieu des rires nerveux. Il n’y a aucun dommage visible, et pourtant, l’univers familial est ébranlé.
"Snow Therapy" ou "Force majeure" dans sa version originale suédoise.
Ah oui, vous trouvez que d'un coup le suédois est moins abscons ? "Skol ofenstrü" me répondrez-vous et je partage votre opinion. Soyez rassuré, le reste des dialogues du film sont bien en suédois. Vous pourrez ainsi, vous aussi, briller au prochain repas familial en criant "komma ut!" à votre belle-mère en lui expliquant que ce n'est qu'un extrait du dernier film suédois que vous avez vu (car oui, vous en voyez souvent des films suédois). Ça ne vous empêchera pas de le penser très fort.
Bienvenue donc aux Arcs, superbe station de ski des Alpes, au milieu d'un domaine alpin magnifique, entouré des plus hauts sommets, garnis de la plus belle des neiges blanches. Bref, c'est beau et ça fait rếver (les amateurs de ski en tout cas). Nous y rencontrons donc une famille suédoise typique, Tomas et Ebba, les parents (même pas blonds) ainsi que leurs enfants, Vera et Harry (blonds aux yeux bleus, c'est bon, les repères sont là) qui profitent de méritées vacances notamment pour le pauvre papa, cadre supérieur, certainement overbooké dans un métier à haute valeur ajoutée qui promet de ne pas répondre à son iPhone (ou presque pas). Tout se passe bien jusqu'à ce repas sur la terrasse d'un restaurant où ils assistent à une avalanche contrôlée... Enfin, contrôlée, jusqu'à ce qu'elle s'écrase au pied du restaurant, provoquant l'affolement parmi les touristes de la terrasse, dont notre Tomas qui laisse femme et enfants affronter le danger et s'enfuit sans un regard, emportant ceci dit gants et iPhone avec lui. Nuls victimes ici, la neige retombe, les convives retournent à leurs places continuer leur repas. De la même façon, Tomas s'en retourne et l'air de rien reprend sa fourchette. Cette fuite sera le catalyseur d'une crise au sein de la cellule familiale qui interrogera la place de l'Homme (oui, avec un grand H).
À partir de là, deux visions s'affrontent : celle de la Femme, majoritairement soutenue par les femmes, et celle de l'Homme, soutenu par les hommes. Et oui, ce distinguo si simple fut celui de notre groupe mais aussi qui prévalait pour tous les spectateurs selon les dires du projectionniste. Je vous éviterai toute discrimination de genre, même s'il doit y avoir un peu de ça, l'affiche m'en est témoin :
Du bleu, du rose, ouuh voilà qui ferait plaisir à des gens qui seraient tellement rassurés de voir cette petite famille idéale devenir la norme universelle... Dieu merci, ça n'est pas le cas :)
Revenons donc à nos histoires, à nos schismes : d'un côté ceux (celles?) qui conspuent la lâcheté de cet homme qui fuit devant le danger et de l'autre ceux (ceux?) qui le couve d'un oeil compatissant. Une majeure partie du ressort du film sera sur cette différenciation quasi sexuelle, quasi gender-typed.
Mais plus que la lâcheté de Tomas, lui sera reproché son absence d'assomption de son acte, ses négations systématiques, expliquant qu'il n'avait pas la même version que sa femme sans jamais donner la sienne par ailleurs (hormis faiblement, lors d'un repas avec des inconnus). C'est bien ce point qui justement peut montrer qu'il est conscient de son acte manqué. Jamais il ne se défendra en arguant qu'il a réagi par réflexe, jamais il ne justifiera sa fuite. Sa femme, quant à elle, ne cessera de décrire son acte aux quelques personnes rencontrés lors de leur séjour. Et là, mon sang d'homme peu sûr de lui, qui a essayé de se construire une apparente prestance ne peut que comprendre Tomas : comment accepter un acte qui remet en cause ce que vous êtes, ou tout du moins ce que vous aimeriez être ou vouloir paraître, quand on vous conspue en public ? Ebba ne cesse de détruire l'ego de son mari en s'attendant à ce que celui-ci fasse amende honorable. Certainement a-t-elle vue elle aussi son image de l'homme parfait détruite et cela la perturbe et remet en cause ses propres fondements catholico-traditionno-capitalisto-bourgeo-suédistes ?
Soyez rassurés, viendra le moment où Tomas acceptera la réalité. Et où Ebba ne lui sera d'aucun support. Sympa.
Cela méritera une discussion avec mon psy. Quand j'en aurai un.
Ce film est aussi remarquable dans sa mise en scène, ses décors extérieurs (naturels. Et Fraaaançais, oui m'sieur. Même si ça vaut pas les Pyrénées, bien entendu) ou intérieurs, avec notamment ces multiples prises de vue devant la porte de leur loft, toujours sous le même angle, magnifiquement composés grâce aux lignes de fuite formés par les balustrades de l'hôtel. Parlons aussi des seuls autres acteurs de ce film. Oui, car apparemment ces suédois ont réussi à faire privatiser leur hôtel et les pistes de ski ! Ce concierge, français, la clope au bec en général (on ne refait pas, stéréotypes nous voici), témoin des discussions de perron de Tomas et Ebba, cette suédoise libertinante craquant pour un Alberto Tomba au QI inversement proportionnel à la taille de ses biceps (bah oui, moi aussi j'ai droit aux stéréotypes), ce couple improbable d'un barbu viking d'une quarantaine d'années et sa petite lutine blonde frisotante de 20 ans. Ce géant servira de psy de comptoir à Tomas notamment en lui conseillant d'aller chercher son cri primal du sommet des montagnes, ce qui a du lui faire un grand bien. Il sera aussi le témoin de cet échange avec une blondie venant congratuler Tomas en lui affirmant qu'il était le plus bel homme des environs; puis qui revient s'excuser, lui expliquant qu'elle s'était trompée de personne. Toujours ça de moins pour ton ego, Tomas. À noter aussi cette scène où Tomas se retrouve entraîné dans une boîte de nuit où des hommes quasi nus s'arrosent de bière en hurlant eux aussi, symboles du besoin de ces hommes aisés, coincés dans leurs vies imposées, qui eux aussi ont de trouver un exhutoire.
Mais, au final, l'histoire s'inverse, car, au retour, toute la famille et d'autres touristes se retrouvent dans un bus conduit apparemment pas par un autochtone vu son incapacité à prendre les épingles. Et finalement, lors d'un dernier soubresaut en face du vide, c'est à Ebba de paniquer et de sortir du bus en laissant les uns et les autres derrière elle ! Comme quoi, peu importe la situation dans laquelle vous êtes, jamais vous ne saurez comment vous réagirez en cas de panique. Ainsi Tomas se délecte-t-il d'une cigarette en descendant la route, non pas triomphateur, mais restauré dans sa vision d'égal avec sa femme, au simple niveau d'être humain, avec ses faiblesses. Tout simplement.
Au delà de l'histoire, il y a aussi une réelle recherche photographique (avec une belle utilisation de la perspective et des diagonales) ou scénographiques (les scènes dans la salle de bain, sans dialogues, avec pour seul accompagnement le bruit des brosses à dents électriques, pourtant pleines de sens et d'informations) qui apporte à ce film une patine visuelle très artistique.
Et une BO, simple et efficace :
Vous avez la chance d'avoir cette partie complète, dans le film, ce n'était que quelques secondes à chaque fois !
Enfin quoiqu'il en soit, un film à voir, en couple bien entendu pour vous affronter de longues heures (comme font le géant et la lutine d'ailleurs :p) et pour comprendre aussi la position des Hommes, tout autant victimes des cadres sociaux auxquels ils sont, eux aussi, inféodés.